n scène ! Ca faisait maintenant une bonne demie heure que Lou attendait son binôme pour répéter une scène inspirée de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" suite aux consignes de leur professeur: interpréter une séquence explosive d'après un classique du théâtre américain. Seulement Joshua, peu sérieux, était coutumier d'un laxisme qui avait le don d'agacer la très appliquée miss De Nombel. On ne plaisantait pas avec les devoirs, et encore moins avec le théâtre ! L'absent se faisait donc désirer, comme à son habitude, et la brunette faisait les cent pas, habitant la pièce sombre de son corps frêle et sous tension. Il allait être bien compliqué de répéter cette scène sans son co-équipier pour lui donner la réplique ! Lou aimait jouer son contraire, sortir de son corps pour comprendre l'incompréhensible, mais à ce stade elle avait besoin de sentir une osmose avec son partenaire. C'était une scène de dispute. Il fallait absolument que leurs deux jeux se complètent, qu'une alchimie s'en dégage, et sans Joshua c'était tout bonnement impossible. Comment trouver le bon ton ? Savoir sur quel pied danser ? Avec quelle électricité se titiller ? Comment renvoyer la balle sans challengeur ?! C'était la deuxième fois qu'il lui faisait faux bond. Un véritable scandale ! Autant dire qu'ils n'étaient pas du tout au point. Et puis quel gâchis... C'était dur de l'admettre mais Joshua était excellent. Il avait une aura, une facilité à s'effacer, à posséder, à habiter un lieu par sa seule présence, mais appelons un chat un chat, c'était aussi un branleur de première catégorie. Tout ce qu'elle pouvait faire à présent, c'était bosser sa partie en solo. Un non-sens ! Pourtant elle agita frénétiquement ses doigts comme pour se débarrasser d'un blocage tout en jouant avec ses muscles faciaux pour les détendre.

Souffler. Fermer les yeux. Respirer dans le corps d'une autre. Rêveuse et évanescente. Une oie blanche, angélique, sotte et souvent à la limite de l'hystérie. Honey. Sans son Nick pour devenir fous, ensemble. Mouais. Garde la pêche ! C'était tellement rageant... Comment pouvait-on se foutre du monde à ce point ? Que feraient-ils lorsqu'ils devraient présenter leur travail ? Elle n'osait même pas y penser. Catastrophée, elle voyait déjà le pire se profiler. Chacun offrirait des bribes sans fond, sans cohésion, des fragments vides et saccadés. Mon dieu, non ! Mais POURQUOI ne répondait-il pas à ses messages ?! Et le respect dans tout ça ?

- PETITE MERDE DE MES COUILLES !!! hurla-t-elle dans sa langue natale pour s'empêcher d'exploser son téléphone contre le mur.

L'écho de sa voix enragée l'apaisa instantanément. Ca faisait du bien de gueuler ! C'était peut-être le signe qu'Honey était déjà là, en fin de compte. Et peut-être qu'elle ne pouvait pas faire mieux. Peut-être qu'il fallait arrêter de combattre l'inévitable.

BOUM.

Après un sursaut, elle interpréta le fracas de cette porte qui claque comme un signe divin. Pas celui escompté malheureusement...

- Désolé, j'ai galéré à trouver.

- Bordel, marmonna-t-elle tout bas d'autant plus irritée. C'est qui ce con.

C'était clairement pas Joshua.

- Oh... Pardon... ajouta l'inconnu visiblement confronté à son erreur.

C'était pas non plus quelqu'un de sa troupe. C'était juste un gars, planté là au pire moment qui soit, prêt à être cueilli, fait comme un rat !

Comme pour calmer le bouillon qui montait en elle, Lou se mordit puissamment la lèvre inférieure sans lâcher l'intrus maladroit de ses yeux blasés. Puis, à deux doigts d'éclater, elle arqua un sourcil nerveux.

- Qu'est-ce que tu veux ? Tu sais où t'es là ? T'es dans un théâtre. Tu viens pour me donner la réplique ? Oui, non ? La brune enchaînait et le pauvre étudiant ne pouvait en placer une. Quelle aubaine ! Elle n'avait que faire de passer pour une psychopathe, elle en avait besoin. D'ailleurs elle était dingue. Voilà. Elle embrassait sa folie, c'était acté. C'est Joshua qui t'envoie ? Non ? Ben t'as rien à faire ici alors.

Elle lui tourna le dos pour marcher dans la direction opposée et releva ses cheveux comme pour détendre sa nuque trop raide. Mais non... Non ! La raison lui revint quasi-instantanément, comme si elle venait de réintégrer un corps qu'elle avait délaissé au profit d'une tirade grossière. Elle ne pouvait décemment pas péter les plombs et envoyer paître un pauvre type juste parce qu'il n'a pas le sens de l'orientation. Non, non, non ! Il ne lui fallut que quelques secondes pour se raviser et faire demi-tour.

- Ouais ça va je sais, je suis à cran, mea-culpa, mes plus plates excuses, si t'as un truc pour calmer les nerfs je prends. Bon c'est quoi ton problème, t'es perdu ? Tu cherches quoi ?

Semi provocatrice, semi conciliante, mais définitivement moins hystérique, il était sans doute ardu de déceler sa bonne volonté derrière cet affront gratuit. Un de ces jours elle devrait probablement lui expliquer qu'elle est comédienne et que ses rôles l'habitent longtemps après les répet', histoire de faire bonne figure... ou pas. Pour l'heure, elle tentait de faire oublier son manque de délicatesse sans perdre totalement la face, elle qui se pensait si raffinée. Décidément explosive comme une coupe qui déborde mais très raffinée fière la miss De Nombel !