Dans le noir

Dans le noir

Libre

Peu étaient les élèves à sacrifier leur soirée à la bibliothèque, des retardataires qui préparaient leurs devoirs la veille pour le lendemain, d’autre qui vivaient dans les livres et ignoraient qu’il existait une réalité tangible autour d’eux, certains qui ne savaient tout simplement pas où aller. Louison y trouvait le calme qu’elle recherchait lorsqu’elle voulait étudier tard sans déranger (ou l’être par) ceux qui l’entouraient dans sa confrérie. La vie en communauté avait du bon, mais comme tout, on pouvait lui trouver certains désavantages. Ici le silence régnait. Le seul bruit à le rompre était celui des pages qu’on tournait, froissait, sur lesquelles on revenait. Quelques chuchotements aussi d’élèves qui s’entraidaient. Rien qui ne soit capable de rompre le calme studieux dont avait besoin l’étudiante.

Elle se trouvait en pleine allée, entourée par les étagères regorgeant d’ouvrages. Toutes ses affaires étaient étalées sur une table, l’attendant sagement. Le livre dont elle avait besoin ne se trouvait pas à sa place - peut-être avait il déjà été emprunté - et elle cherchait un équivalent. Elle n’eut le temps de trouver que toutes les lumières de la salle s’éteignirent simultanément. L’obscurité de la nuit n’apportait aucun éclat palliant aux ténèbres qui s’abattaient soudainement. Portant instinctivement sa main à la poche arrière de son pantalon Louison ne saisit que le vide. Son téléphone était resté à sa place. Elle n’avait pas peur du noir mais être soudainement privée de l’un de ses sens sans pouvoir le compenser était désagréable et angoissant pour n’importe qui. Inspirant pour s’apaiser, elle tendit son bras pour frôler la lignée de meuble dont elle espéra que la direction l’aiderait à se repérer. Ainsi elle avança, guidée par le vide, accrochant son regard aux lueurs orphelines que d’autres avaient fait naître sans qu’elles soient assez nombreuses pour l’aider vraiment. Elle espérait naïvement que le problème serait réglé avant qu’elle ne heurte un obstacle.

Dans le noiron en parle de ce traquenard?

Jordan était une habituée de la bibliothèque lorsqu'elle ne travaillait pas le soir. Malgré tout ce que l'on pouvait croire et l'image qu'elle voulait renvoyer, elle était studieuse. Il fallait au moins qu'elle maintienne ses notes à flots si elle ne voulait pas se voir éjecter de l'équipe de cheerleading. Non seulement sa capitaine ne la raterait pas, mais Cliff non plus. L'excellence était de mise dans leur confrérie. Peut-être pas au niveau des mais quand même...

Alors ce soir, elle se trouvait à la bibliothèque. De grandes lunettes trônaient sur son nez. Elle ne les mettait que rarement, mais elles étaient nécessaires, surtout le soir quand elle commençait à fatiguer. Au programme: diététique. Leur professeur leur avait demandé de créer un programme alimentaire d'un mois qui correspondrait à un adolescent de 15 ans non sportif, avec une allergie alimentaire au choix.

Elle aimait beaucoup cette matière contre toute attente. Certes c'était quelque chose d'académique, mais en même temps, elle était certaine de s'en servir. Et surtout, ce n'était pas l'histoire des jeux olympiques... Ca, c'était bien la seule matière qu'elle détestait.

Entourée de bouquins ouverts, elle regardait les valeurs nutritionnelles des aliments et des plats qu'elle avait choisi en fonction de l'allergie alimentaire qu'elle avait décidé. Une bonne vieille allergie aux arachides. Entre deux notes, elle relevait la tête et décochait un sourire suave à quelques étudiants. Ce qui était drôle, c'est que les rats de bibliothèque de cette heure-ci étaient tellement coincés qu'ils rougissaient jusqu'aux oreilles.

Pourtant, cette vue fut interrompue par une coupure. Le noir régnait à présent.

- C'est quoi ce bordel? Ils ont pourtant pas commencé les bizutages, si?

Elle se mordit la lèvre. Elle avait entendu quelques rumeurs sur ce que les autres maisons prévoyaient, notamment les . Ces idiots venaient récupérer les quelques éléments fourvoyés à la bibliothèque et n'hésitaient pas à emporter avec eux les autres étudiants présents. Tant pis, elle allait abandonner son poste pour ce soir. Elle récupéra ses affaires à la lumière de son téléphone et fourra tout dans son sac.

Elle s'empressa de se lever et de s'avancer presque à couvert entre les rayonnages lorsque son portable s'éteignit.

- Non, merde, merde, merde, c'est pas le moment!

Elle essaya de le rallumer plusieurs fois, mais il fallait croire que la batterie était à plat. Ce n'était pas grave, le plus important était d'éviter ces crétins qui allaient mettre la bibliothèque sens-dessus-dessous et qui allaient créer plus de problèmes qu'autre chose. Avançant à tâtons, elle ne voyait pas où elle allait. Elle voyait bien des rais de lumière lointains...

Ce n'est que lorsqu'elle se heurta à une personne en essayant de s'approcher des sources de lumière qu'elle étouffa un juron.

- Si je tiens ces p'tits enculés, je vais leur faire bouffer mon sac à ceux-là, finit-elle par maugréer.

Elle mit ses mains devant elle pour toucher la chose - ah non personne - devant elle. Jordan faillit s'excuser mais s'abstint. Ce n'était pas de sa faute si elle était rentrée dans la personne là, elle ne voyait même pas qui c'était. Une fille à en croire la poitrine qu'elle avait touché sans gêne. Peut-être que si elle était mignonne, elle l'aiderait à sortir de ce traquenard.

Comme elle l'avait craint, elle heurta un autre corps errant à travers la bibliothèque. Le choc n'eut rien de violent mais n'aida pas à apaiser le situation. Se trouver face à une autre personne sans savoir quoi dire, rester anonymement et toujours sans repère perdue à travers la pièce, n'allait qu'en la rendant plus désagréable encore. Comme si elle était suspendue par une aura étrange. Le silence se rompit rapidement puisque l'obstacle qu'avait rencontré Louison prit la parole :

« - Si je tiens ces p'tits enculés, je vais leur faire bouffer mon sac à ceux-là.

Si elle ne reconnut le détenteur de cette voix elle sut au moins déceler qu'elle appartenait à une femme. Peu lui importait en théorie mais cette information lui permettait d'humaniser un peu la silhouette. Ses mots la perturbèrent et elle ne comprit comment elle pouvait en être la destinataire. Peut-être parlait-elle seule après tout. Ce ne fut pas ce qui l'empêcha de lui répondre.

- Mais de quoi est-ce que tu parles ? »

Il lui semblait qu'on avait pris une phrase pour la placer dans un contexte qui n'avait strictement rien à voir avec celle-ci. Plutôt que de l'ignorer elle préféra essayer de la comprendre. De toutes manières, qu'avait-elle de mieux à faire ? Elle n'allait pas continuer à déambuler pendant des heures jusqu'à réussir à trouver la bonne table, réunir ses affaires et par chance trouver la sortie. Attendre sagement que la lumière revienne lui ferait au final perdre moins de temps. Enfin, ça restait encore à prouver, la coupure était déjà inquiétante de longueur.

N'y avait-il pas des dispositifs prévus dans des cas comme ceux-ci ? Le manque de réactivité de l'administration était surprenant, mais s'expliquait sans difficulté : il n'y avait pas foule à cette heure-ci ce qui devait amoindrir l'urgence. Ou alors ils ne parvenaient pas à régler le problème qui s'étendait plus qu'on ne se l'imaginait.

Dans le noiron en parle de ce traquenard?

Plongée dans son esprit, Jordan sursauta lorsque l'inconnue posa une question.

- Mais de quoi est-ce que tu parles ?

La métisse haussa un sourcil. Est-ce qu'elle lui posait sérieusement la question ou était-ce juste pour meubler la conversation? Vu le ton, elle opta pour la première option. Elle essaya de regarder autour d'elle si du bruit se faisait entendre ou non. Des petits cris étouffés commencèrent à se faire entendre.

- Je parle du bizutage des connards de fêtards... Je pensais pas qu'ils commenceraient de si tôt...

Elle croisa ses bras et s'accroupit en entendant des pas s'approcher. Elle tira sur le bras de l'autre étudiante pour qu'elle se mette à son niveau aussi et s'approcha de son oreille et chuchota.

- Ils sont venus récupérer leurs brebis égarées, donc si t'es des leur, dis-le moi tout de suite parce que j'ai pas envie d'être entraînée dans leurs galères. Et si t'en es pas, à part si t'as une envie folle furieuse de faire la fête, on ferait mieux de se tailler en douce.

Elle attendit que sa compagne d'infortune assimile bien ce qu'elle venait de lui dire. Les pas se rapprochaient, aussi se plaqua-t-elle contre le rayonnage, comme pour essayer de ne faire qu'un avec l'ombre. Elle n'avait pas envie de faire la fête, elle n'avait pas envie de bizuter les nouveaux et elle n'avait pas envie d'être emmerdée l'un de ses seuls soirs de repos.

- Du coup, tu veux faire quoi? demanda-t-elle avec une certaine impatience.

La réponse ne tarda à venir, aussi déplaisante soit-elle.

« - Je parle du bizutage des connards de fêtards... Je pensais pas qu'ils commenceraient de si tôt...

Louison sut tout de suite de quoi elle parlait et faillit s'énerver seule, mais elle fut surprise de sentir une main saisir son bras et le tirer vers le bas, ce qui avorta son élan. Ne s'y attendant pas elle suivit le mouvement sans pouvoir y opposer de résistance, devant s'accroupir comme l'inconnue qui l'avait attrapée. Celle-ci poursuivit en chuchotant :

- Ils sont venus récupérer leurs brebis égarées, donc si t'es des leur, dis-le moi tout de suite parce que j'ai pas envie d'être entraînée dans leurs galères. Et si t'en es pas, à part si t'as une envie folle furieuse de faire la fête, on ferait mieux de se tailler en douce.

Être des leurs ? Certainement pas. N'importe quoi sauf eux. Elle n'avait pas la moindre envie d'être associés à cette confrérie et leur fatale inutilité. Comme suggéré il fallait qu'elles sortent en vitesse, mais elle ne pouvait abandonner ses affaires. Des pas approchant l'empêchaient de réfléchir. Pourtant l'urgence de la situation forçait son cerveau à tourner plus vivement qu'à l'accoutume.

- Du coup, tu veux faire quoi? La pressa sa compagne puisqu'elle restait muette.

- Hors de question de rester ici. Suis-moi.

Se relevant elle saisit sa partenaire et se mit à avancer d'un pas pressé. Un petit effort et elle était certaine de pouvoir retrouver sa place même à l'aveugle. Dans le pire des cas elles pourraient au moins sortir des allés et seraient toujours un peu plus avancées qu'en restant statique.

Sa course fut violemment interrompue lorsqu'elle entra dans une table. Elle jura en prévenant l'autre étudiante, évitant qu'elle ne la bouscule aussi. Malgré les longues heures qu'elle passait à la bibliothèque elle ne connaissait pas ses plans au millimètre près. Elle s'en souvenait tout de même assez pour être capable de miser sur sa mémoire. Quelques pas à gauche et … Elle retrouvait son poste de travail ! Elle rangea tout ce qu'elle trouva dans son sac le plus vite possible, ignorant sa hanche douloureuse.

- Maintenant on peut y aller, prévint-elle en allumant la torche de son portable qu'elle venait de saisir. »

HRPG: