objet perdu (louison)

objet perdu "Un capuccino, s'il vous plaît." La serveuse ne se gêne pas pour te matter et t'as le pressentiment qu'elle te laissera son numéro de téléphone en même temps que la note. Ou peut-être pas. Peut-être qu'elle perdra confiance en elle lorsque Louison arrivera et s'installera en face de toi. Ou alors c'est le genre de meuf qui aime la compétition. Tu t'étires puis poses ton menton dans la paume de main, patientant tout en observant les étudiants de passage à travers la vitre du restaurant. Elle n'est pas en retard, c'est plutôt toi qui est en avance. Tu pensais terminer les cours à seize heures aujourd'hui mais t'as pu te libérer plus tôt grâce à un maitre de conférence qui a annulé à la dernière minute. Du coup, tu te tournes les pouces depuis plus d'une heure et demi. Encore quinze minutes avant qu'il ne soit quatre heures de l'après midi et qu'elle ne se pointe. Tu fais tourner le portable qui n'est pas le tien dans ta main, l'examinant sous toutes les coutures. Tu l'avais retrouvé hier sur un banc du campus et avait posté une annonce sur Chelsea pour retrouver son propriétaire. Elle devrait remercier sa bonne étoile qu'il ne soit pas tombé entre les mains d'une personne malhonnête. Ou pire encore, l'étudiant mystère! Tu devais malgré tout avouer que tu as failli laisser ta curiosité violer l'intimé de la chère Louison. Tu avais considéré payer un nerd pour débloquer le téléphone et faire la fouine. Mais t'avais finalement décidé que ça n'en valait pas la peine. Tu ne connaissais pas cette fille, tu as aucune raison de lui faire un si mauvais coup. Si ça avait été Aaron, tu ne te serais absolument pas gêné. Le téléphone d'une personne de nos jours est l'équivalent du journal intime lorsqu'on est en primaire. On y renferme tout nos petits secrets. Monsieur 'Parfait' y cachait surement toutes ses imperfections.

Seize heure pile, pas une seconde en moins, pas une en plus, la porte s'ouvre et laisse entrain l'élite. Tu lui fais signe, au cas où elle ne t'aurait pas vu. Tu l'invites à s'installer juste en face de toi. T'aurais pu lui refiler son portable et juste quelques mots de politesse puis te barrer mais where is the fun in that? "Tête en l'air n'est pas un trait de caractère que j'aurais imaginé attribuer aux personnes comme toi." Les élites avaient une énorme réputation qui les poursuivaient. Les étudiants sans défauts. Les étudiants parfaits. Tu les considérais presque comme des robots, des êtres irréels. Leur perfection sentait le plastique. La serveuse se ramène enfin avec ton capuccino, elle bug un peu sur la présence de Louison -tu l'avais prédit ça- puis lui demande si elle veut boire ou manger quelque chose. Son téléphone est toujours à tes côtés, posé juste en dessous du tien. Tu ne fais aucun geste pour le lui tendre.

Lousion traversait le campus d'un pas assuré. Elle n'était pas de ceux qui se précipitaient en courant presque comme s'ils étaient en retard, pas plus qu'elle ne se promenait avec lenteur en s’émerveillant du moindre grain de poussière. Suivant son chemin, elle n'avait pas de temps à perdre mais ne voulait en voler aucun non plus.

Un peu plus tôt dans la journée, à la pause de midi, pressée par les minutes elle avait déjeuné sur un banc avec l'une de ses amies. Elles avaient brièvement discuté avant de retourner en cours et ce ne fut qu'une fois installée dans l’amphithéâtre que la jeune femme s'aperçut avoir perdu son téléphone. Sa compagne – moins assidue qu'elle – lui proposa de refaire leur itinéraire pour voir si elle le trouvait, mais elle ne fut levée qu'elle reçut une notification. Quelqu'un les avait devancé, mais dans sa grande bonté, l'avait notifié sur Chelsea. En quelques messages ils avaient convenu de se rejoindre au Mornin' Betty.

Ce fut la porte de cette boutique qu'elle poussa à très exactement seize heures, comme convenu. Elle reconnut rapidement Azur Yoon qui lui fit d'ailleurs un signe pour qu'elle le rejoigne. Tandis qu'elle s'asseyait face à lui, il prit la parole :

« - Tête en l'air n'est pas un trait de caractère que j'aurais imaginé attribuer aux personnes comme toi.

Ils ne se connaissaient pas, et Louison avait horreur qu'on la catégorise à cause de rumeurs ou d'à-priori. Elle-même cédait parfois à la tentation de ranger les autres dans de petites cases bien étroites mais tout devenait différent lorsqu'il s'agissait d'elle.

- Une personne comme moi ? Qu'est-ce que c'est sensé vouloir dire ? Rétorqua-t-elle le sourire aux lèvres.

Il ne put lui répondre puisque la serveuse arriva en plaçant sur leur table un café fumant. Des volutes s'échappaient du liquide brun à travers la mousse le recouvrant. Avant qu'elle ne s'en retourne à ses occupations Louison lui commanda un thé – noir.

Son téléphone se tenait là, devant elle, mais elle n'osa le saisir. C'était à croire qu'on l'en avait dépossédé lorsqu'elle l'avait oublié et qu'on ne lui rendrait ses droits qu'en les lui donnant de vive voix. Elle accrocha son regard une courte seconde sur l'appareil avant de le reporter sur celui qui l'avait ramené.

- Merci en tous cas. Je n'imaginais pas qu'une personne comme toi cherche gentiment le propriétaire d'un objet trouvé. »

L'étudiante s'amusa à délibérément reprendre ses mots.