Les centaines de nuances de couleurs donnaient le tournis à Jasmin. Pas qu'il était en cours d'art, ou que les portraits de vieux musiciens blancs projetés sur le tableau blanc soient particulièrement colorés, mais l'esprit du jeune homme lui faisait souvent halluciner des choses en fonction de ses humeurs et aspirations du moment. Et il suspectait la vidéo du gâteau multicolore de la veille d'avoir inspiré ces images, qui au fond n'étaient pas déplaisantes. Il avait surtout l'impression de vivre depuis plusieurs minutes avec une vision en kaléidoscopes de couleurs.
Parce qu'il trouvait parfois ses hallucinations associées à la réalité curieuses, les étudiants avec qui il avait décidé de traîner dans sa classe lui avaient encore fait remarquer qu'il avait l'air "high". Mais Jasmin s'en fichait, parce qu'on lui disait souvent qu'il était bizarre, et, il n'avait jamais eu besoin de prendre une quelconque substance illicite pour avoir accès à des choses qui n'étaient visibles que par lui.
Oui, parfois, ce n'était pas chouette d'être comme il était, mais il faisait avec. Quel autre choix avait il ? Et puis, au final, ça faisait partit de son monde, et la plupart des hallucinations étaient inoffensives, juste casse-pieds ou vaguement drôles. Avec ses médecins, il avait établit que s'il gardait le moral et des heures de sommeil correctes en suivant bien son traitement et ses thérapies, il ne devrait pas y avoir trop de soucies à se faire.
Et après tout, Jasmin était un gamin optimiste.
Trop pris à regarder les petites écailles colorées qui tapissaient sa vision, il ne se rendit compte qu'en retard de l'heure qu'il était quand le professeur leur souhaita une bonne fin de journée. Clignant des yeux, il se tourna vers ses camarades, babillant gaiement à propos de sujets plus ou moins randoms comme si de rien n'était, demandant les potentiels dossiers à rendre en feignant n'avoir pas eu le temps de noter au milieu de la conversation.

"Vais manger avec des potes, à plus"

Et il n'avait fallut que quelques minutes à voleter dans les couloirs pour que le papillon sociable qu'était le français pour retrouver les fameux "potes". A vrai dire, il n'était pas bien sûr que ça soit des amis, mais il les aimait bien (il aimait tout le monde), et ils acceptaient qu'il soit là.
Et puis, face aux repas insipides de la cafétéria, il semblait qu'avoir un joyeux lutin à sautiller et parler d'un sujet simple comme si c'était la chose la plus incroyable semblait rajouter quelques "paillettes" à l'instant. Il fallait dire qu'à défaut d'avoir les papilles diverties, Jasmin occupait le cerveau, posant des questions à tout le monde, semblant comme organiser les conversations pour n'exclure personne sauf de gênants silences.
Alors oui, on avait l'impression d'être dans un univers à part en voyant ce garçon à la tignasse brune et aux yeux pétillants se mettre sur la pointe des pieds pour poser des questions aux dames de service, rapidement demander des nouvelles et les remercier. C'était comme s'il parlait à des amis... En fait, il parlait un peu pareil à tout le monde, avec ce ton et ce regard qui donnaient l'impression que ses interlocuteurs étaient à chaque fois les choses les plus précieuses du monde. Drôle d'individu, disait on... Mais on finissait aussi souvent par l'inviter.
Après s'être assis, il avait entrepris de ponctuer le repas de premières questions, curieux de savoir comment se portaient les autres et comment se passait leurs journées... aka quelques chose qu'on demandait habituellement juste par politesse, mais qui intéressait l'étudiant en arts de manière sincère.
Mais très vite, l'attention de Jasmin fut attirée par la manière dont était habillé un étudiant de la table juste en face... Il semblait être habillé comme un nerd classique, et en bon "Artsy Kid" qu'il était, il lui semblait pas expérience que les nerds étaient des personnes sympathiques. Et puis, il ne semblait pas nécessairement à l'aise à côté de cette bande d'étudiants populaires, comme un cheveux dans une soupe, et s'excusant vaguement auprès de ses compères, l'extraterrestre avait saisit son plateau et pris place sur cette table sur laquelle il était nullement invité.

"Bonjour, ça vous dérange pas si je m'installe ? Comme ça on sera deux intrus !"

Clignant des yeux plusieurs fois en affichant son sourire d'angelot, ne sachant pas forcément dans quelle situation il venait de se mettre (ou alors les autres ne sachant pas encore quel type de créature venait les envahir). Évidemment, son intérêt s'était porté sur Jake, vu qu'il avait un costume cool et qu'il avait l'air bizarre, et il lui avait jeté un regard sympathique avant de se tourner vers les autres individus.

"Aaron, c'est ça ? C'est chouette que vous invitiez des nouveaux à manger avec vous" demanda t-il à une des seules personnes qu'il lui semblait reconnaître, s'imaginant dans son infinie crédulité que Monsieur Bizarre et les populaires se connaissaient.

Sa confrérie n'était pas très amie avec celle du phénomène, mais ça ne l'empêchait pas d'en connaître plusieurs têtes... et d'en fait être sympathique avec eux, stupide oiseau trop gentil qui aimait tout le monde et voulait couver toute la planète. Il ne pensait pas qu'ils avaient le crâne vide, sinon ils ne pourraient définitivement même pas vivre.
Il se tourna ensuite vers Jake, toujours visiblement sur ses ressorts, pouvant pas tenir sa langue plus de cinq secondes pour retourner vers ce qui l'intéressait :

- Toi ! Je t'ai jamais vu ! Soyons aussi amis, ta tenue est trop cool ! Comment t'as rencontré la team des sportifs ?

L'heure de midi risquait de s'allonger. Et évidemment, Jasmin regardait maintenant le pauvre Jake avec pleins d'étoiles dans les yeux, se tournant ensuite vers Aaron et les autres toujours avec ce même air de poussin joyeux, attendant naïvement une réponse.

Jasmin, il était trop crédule pour ce monde. Vraiment trop crédule. Alors aux mots d'Aaron, il se contenta d'être heureux, songeant par là que peut-être que les autres étudiants étaient moins intimidés par les populaires ces temps-ci. Peut-être que les gens se mélangeaient plus, qu'il y avait moins de harcèlement et d'humiliations. Et c'était gentil quand même, que Aaron laisse les gens venir à sa table.
Il hocha sagement la tête quand Jake répondit enfin, plaçant un "C'est trop classe quand même. On s'en fiche des autres." C'était vrai que dans la tête de Jasmin, on s'en moquait un peu de l'avis des gens, surtout pour des histoires de vêtements. Cela faisait quelques années que lui-même se moquait un peu de tout ce qui pouvait circuler sur lui. Il savait ce qui était vrai, ça suffisait... Enfin, parfois il ne savait plus trop, mais il faisait au mieux. Il avait au moins une philosophie de vie qui lui facilitait les choses.
Puis, le garçon au costume sympathique avait demandé les noms de tout le monde, et s'ils appartenaient à une confrérie. L'espace d'un instant, Jasmin se demanda s'il avait quelques chose contre les confréries, naïf quant à certains phénomènes qui existaient autour d'elle, trop occupé dans sa petite bulle de gamin trop innocent pour ce monde. Et puis, il était aussi trop utopiste, idéaliste, à embellir la réalité, espérer des choses impossibles... Peut-être que c'était triste, mais c'était ainsi.

- Jasmin, j'fais partie des Gamma, mais je me mêle pas des conflits de confréries, alors ne t'inquiète pas, on peut être amis !

De toute manière, Jasmin qui se bat avec quelqu'un, Jasmin brouillé avec qui que ce soit, ça semblait être tiré d'une fiction. Il préférerait tout à l'idée de participer à des conflits. Il n'avait de toute façon pas la santé mentale nécessaire pour ce genre "d'activités" auxquelles se prêtaient quelques étudiants en majorité neurotypiques. C'était un gamin simple, au fond, le petit musicien...
Aaron ne semblait pas vouloir répondre à la question de Jake, ce qui étonna un peu Jasmin. Il l'avait accepté à sa table parce que les gens devenaient plus gentils, alors pourquoi..? C'était il trompé ? Non, il voulait croire à la meilleure situation.
Il pencha légèrement la tête de côté quand le blondinet à l'accoutrement particulier évoqua une histoire de privilège, ne comprenant pas tout. Il parlait de l'appui qu'ils avaient avec les aînés ? Il était vrai que c'était avantageux, le brun ne s'en plaignait pas.
Évidemment, il ne nota pas le sarcasme dans les réponses d'Aaron, se contentant de prendre un air triste à l'évocation que l'autre jeune homme puisse être délaissé. S'il ne faisait pas partie d'une confrérie, il devait se sentir seul parfois, en effet.

- Si tu te sens seul, et que tu as besoin d'aide, on est là maintenant, gazouilla joyeusement Jasmin, désignant Aaron en parlant du "on".

Oui, il était vraiment très crédule. Et curieux, avide d'en savoir plus sur les autres, excité par l'idée d'avoir un petit protégé, il avait encore parlé sans trop réfléchir.
Attrapant une main de Jake entre ses deux petites mains, le fixant avec des yeux pleins d'étoiles, il continua sur sa lancée :

- Je ferai de mon mieux pour être un ami digne de toi !

Et il y songeait vraiment, parce qu'il ne disait jamais ce genre de bêtises sans le penser. C'était Jasmin après tout.

Jasmin il peut pas s'empêcher de gesticuler et de parler comme un gamin qui connaît rien aux mauvais côtés des humains. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir d’ors et déjà fait les frais de leur cruauté, mais il avait toujours demeuré en lui une certaine naïveté, un espoir que les choses ne soient pas telles qu'elles étaient. Et c'était dans cette ligne de pensée qu'il choisissait toujours d'exprimer la joie, et d'être gentil avec les autres. Soucieux de ne pas blesser, désireux de ne pas être seul, exécrant être mis de côté, il s'approchait de tout ceux qui attiraient son attention sans pour autant se vexer des rejets.
Alors l'idée de ne pas s'être fait envoyé balader pour le moment le rendait sincèrement heureux. Il voulait apporter un peu de couleurs aux autres s'il le pouvait, alors, il pris soin de noter le prénom de Jake au fond de ses pensées. Il allait chérir cette existences comme toutes les autres, et il essaierait d'être un ami digne.
Puis il penche la tête de côté quand Jake lance cette fameuse réplique à Aaron. Il se tourne vers le blondinet à côté, confus, encore plus perdu en l'entend dire que le garçon aux cheveux bouclés devraient payer pour intégrer, le tout accompagné de piques. Est-ce que l'ambiance avait toujours été ainsi, ou est-ce qu'il y avait eu un soudain changement ?

- Mais il ne faut pas payer pour entrer dans une confrérie, et pourquoi on refuserait Jake ? s'inquiéta Jasmin sur un ton presque sot.

La vérité étant qu'il ignorait vraiment d’où venaient les mots prononcés par Aaron. Se sentait il blessé que Jake ait critiqué les confréries ? A cette pensée, le français crût y voir plus clair. Bien sûr ! Pourquoi se serait il soudainement énervé sinon ! Mais de la même manière, il ne pouvait pas dire qui avait raison. Alors il avait tout doucement glissé à Aaron :

- Ne te fâches pas contre lui, il lui est peut-être arrivé quelque chose de douloureux avec une confrérie. Il n'y a aucune raison à vouloir le blesser à nouveau, on devrait plutôt lui montrer des choses amusantes qui lui changeront les idées, tu ne crois pas ?

Il se tourna à nouveau vers Jake, un grand sourire aux lèvres, cherchant à le rassurer. Il voulait lui prouver qu'il n'était pas un ennemi, et il voulait y mettre tous les efforts qu'il fallait pour atteindre son but. Mais de la même manière, si Aaron était aussi blessé, il devrait l'aider également. Pourtant, il ne savait pas trop quoi lui dire, parce que même s'il songeait que le blond pouvait avoir une relation plus que fusionnelle avec sa confrérie, il peinait à saisir son agressivité.