Samuel John Ezechiel Joseph Wit. C'est mon nom complet. À croire que mon père a pressenti que je deviendrai moins ange que démon: il a casé dans mon patronyme une bonne mesure de saints et autres prophètes. Ça n'a pas vraiment eu l'effet escompté, et, de toutes façons, personne ne m'a jamais appelé autrement que Sam.

Je suis né le 27 Avril 2001, dans une petite ville du Michigan, au sein d'une famille blanche qui comptait une tripotée d'enfants. Mon père était le pasteur de l'église du coin et ma mère était constamment enceinte. La contraception, c'était pas vraiment leur truc. On était déjà sept gamins quand je suis parti, et il y en avait un autre en route. Il fallait filer droit à la maison, ou bien les claques pleuvaient; mes parents n'avaient pas le luxe de faire dans le sentimental. Tant qu'on ne créait pas de souci avec la pastorale ou l'école du quartier, ma mère, surmenée, nous laissait plus ou moins nous débrouiller seuls.

Avec mes frères et sœurs, on a fait notre petit bout de chemin. La famille vivait sur un budget serré, mais on s’en sortait. Jamais de gaspillage ; les fringues s’usaient jusqu’à la corde. L’école. Le temple. La corvée. Le bois. La rivière. La grande maison qui avait bien du mal à tous nous contenir. La Bible de ma mère. Les voisins, qui faisaient partie, pour la plupart, des ouailles de mon père. Les séances de correction musclées du paternel quand notre bulletin scolaire tirait un peu la tronche. Ce qui était, je dois le dire, régulièrement mon cas : j’ai jamais été vraiment studieux et ne le suis pas devenu. C’est pas que j’aime pas apprendre des choses mais je comprends pas bien pourquoi faut rester des heures vissé à une chaise pour ça. J’avais du mal à tenir en place ; j’étais pas méchant mais je personnalisais le mot « chahut ». Et plus je grandissais, plus mes notes dégringolaient. Comme les beignes.

Fatalement, le lycée dans lequel j’avais fini par atterrir a prononcé mon redoublement à la fin de ma 9ème. A ce stade, je pensais avoir fait le tour des colères de mon daron. Je me trompais. Mathew Joseph Wit m’a collé la trempe de ma vie. J’avais 15 ans.

Mon père m’a plus touché après. Peut-être qu’il se raconte qu’il a réussi à me faire entrer dans le droit chemin. Ou peut-être qu’il a relu les Évangiles et qu’il s’est dit que y avait un truc qui clochait dans sa vision de l’éducation. Je m’en tape, je le laisse débrouiller ça avec son Dieu. En tous cas, quand j’ai de nouveau pu sortir de la maison, j’ai fait ce qu’il fallait pour rester sous son radar. Je suis pas devenu un petit génie, hein, mais j’ai réussi à remonter mes notes à une moyenne convenable. Et j’ai tout fait pour passer le moins de temps possible à la maison. J’ai multiplié les activités extra-scolaires. L’offre était pas folle dans mon lycée, mais tant que je pouvais remplir mon agenda, je prenais. J’ai même fait de la poterie, dis-toi. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé la boxe.

Et punaise, je m’y attendais pas, mais je me suis révélé doué. Vraiment doué. Les coups, ça faisaient des années que je savais les encaisser, et soudain, pouvoir les rendre, c’était un truc dingue pour moi. J’étais pas très imposant, mais j’étais rapide, sec, nerveux, précis. Petit à petit, la boxe, c’est devenu mon nouveau monde. J’ai pris ça au sérieux. Je me suis entraîné comme un fou. De fil en aiguille, je suis devenu le poulain du coach. Il m’a emmené faire un tas de tournois. Je discutais pas, tant que ça m’éloignait de chez moi, je grimpais dans les cars, je dormais, je boxais, je ramenais des coupes, des trophées.

Ça a duré comme ça jusqu’à la fin du lycée. Je savais pas trop ce que je voulais faire. Juste continuer la boxe et me casser loin du Michigan. Mon coach voulait que j’entre à l’Université. Mes résultats au SAT étaient moyens mais mes performances sportives avaient déjà interpellé plusieurs recruteurs et je pouvais même être éligible à certaines bourses d’étude. Je sais plus vraiment qui a évoqué la W-U. J’ai regardé sur une carte : Los Angeles, Californie, à 2274 miles de Reed City. La distance m’a paru convenable. J’ai fourré mes affaires dans un sac, et j’ai définitivement claqué la porte de chez-moi.

Mais de toutes façons, qui s'en soucie?